par Sarah Guillou
La récente loi sur « la transition énergétique pour la croissance verte » promulguée le 17 août 2015 prévoit de faire chuter de 75 à 50 % la part de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité à l’horizon 2025. Elle plafonne par ailleurs à 63,2 GW la puissance du parc nucléaire. Cette limite correspond à la puissance actuelle et implique que toute nouvelle mise en route de réacteur (Flamanville par exemple) devra se traduire par l’arrêt d’un réacteur de puissance équivalente. La décision du report de la fermeture anticipée de la centrale de Fessenheim y est associée et s’inscrit aujourd’hui dans cet équilibre énergétique. Ce conditionnement de la fermeture de Fessenheim provoque le mécontentement de ceux qui croyaient en la promesse inconditionnelle du candidat François Hollande.
Cette décision s’inscrit cependant dans une nouvelle cohérence de la politique électronucléaire française et un contexte international et technologique qui fait renoncer l’Etat français au « tout nucléaire ». Areva, Flamanville et Fessenheim sont les acteurs de ce tournant.
L’acte I démarre avec la mise au jour des pertes d’Areva. Début 2015, l’annonce d’une perte de près de 5 milliards d’euros pour l’exercice 2014 fait basculer l’entreprise du statut de première classe à celui d’entreprise en difficulté, au même titre qu’Alstom dont le rachat de la branche énergie par General Electric se finalise en cet automne 2015. Le chiffre d’affaires du groupe Areva est d’un peu plus de 8 milliards d’euros en 2014. Les difficultés du groupe tiennent à l’occurrence simultanée de « mauvais états de la nature » de son environnement, qu’il s’agisse de l’évolution du marché, de la réglementation, des contraintes technologiques ou de l’évolution de la concurrence (voir « Areva, vaincue à la croisée des risques », Note de l’OFCE, n° 52, septembre 2015). La gouvernance privée et publique n’ayant pas été en mesure de prendre à temps les décisions adaptées à ces évolutions défavorables, l’heure de la restructuration s’est imposée. Areva a aujourd’hui besoin de 7 milliards de financement pour la période 2015-2017 (pour couvrir les pertes et les échéances d’endettement sans inclure d’éventuelles provisions concernant le chantier TVO). L’accord envisagé avec EDF et présenté fin juillet porte sur Areva NP.
Areva NP est déjà une filiale commune d’Areva et d’EDF qui comprend la construction des réacteurs, l’assemblage des combustibles et les services à la base installée et qui représente la moitié du chiffre d’affaires d’Areva. Fin juillet 2015, il a donc été acquis qu’EDF monterait au capital d’Areva NP en apportant 2 milliards d’euros pour détenir entre 52 % et 75 % du capital selon les apports d’autres investisseurs et 400 millions pour l’acquisition d’autres actifs. Il a par ailleurs été convenu que les surcoûts liés au réacteur finlandais OL3 d’Olkiluoto construit par Areva ne seraient pas supportés par EDF mais par l’Etat et Areva. Il reste une incertitude sur la prise en charge du risque lié au réacteur de Flamanville. EDF conditionne ses engagements à la levée de ce risque.
Des capitaux étrangers pourraient participer au renflouement des fonds propres par des rachats d’actifs. Les entreprises chinoises déjà partenaires d’EDF (CNNC et CGNPC) ou encore Mitsubishi qui a des partenariats avec Areva (voir supra) sont les candidats les plus probables à côté du français Engie (GDF-Suez). L’Etat français ne serait prêt à renflouer l’entreprise qu’à hauteur de 2 milliards d’euros.
Le modèle intégré d’Areva est donc bien ébranlé. Moins de 15 ans après la naissance d’Areva, sa cohérence industrielle est remise en question. L’entreprise est contrainte d’admettre la participation de partenaires du secteur à son capital et à son vaste champ de compétences. Son activité sera à présent concentrée sur le cycle du combustible (extraction, enrichissement et retraitement de l’uranium) avec un plan de charge assuré à près d’un tiers par son client EDF et sur les services de maintenance et de démantèlement.
La stratégie de recentrage, l’évolution des marchés et les préférences inscrites dans les politiques énergétiques sont cohérentes entre elles. Le marché du nucléaire va se concentrer sur les besoins de maintien en condition opérationnelle et de démantèlement. Un peu moins de 500 réacteurs sont répertoriés dans le monde, il y a donc un vaste marché de maintenance puis de démantèlement. C’est en effet dans ce domaine qu’Areva a plutôt gagné des contrats ces dernières années.
Pour l’acte II, Flamanville et Fessenheim se retrouvent liés par la nouvelle loi de transition énergétique et illustrent les difficultés technologiques d’une part et les contraintes budgétaires de l’autre. L’achèvement de la construction de la centrale de Flamanville rencontre d’importants obstacles techniques soulevés par l’Autorité de sûreté nucléaire. Son ouverture est donc fortement conditionnée pour le moment. En même temps, le report de son ouverture implique que le plan de charge de production électrique prévu va devoir se passer d’elle. La fermeture de la centrale de Fessenheim, promise pour 2016, se voit donc retardée pour éviter une transition en termes de puissance électrique produite qu’il faudra d’une façon ou d’une autre combler. A défaut de pouvoir, à court terme, remplacer ce manque en KWh nucléaire par des KWh d’énergies renouvelables, la substitution devrait se faire avec des centrales à charbon – à contre-courant des objectifs de réduction des émissions de CO2 – ou des importations d’électricité – défavorables à notre balance commerciale et pouvant augmenter le prix de l’électricité. Le report de la fermeture de Fessenheim s’est imposé et le gouvernement ne manquera pas de saisir l’opportunité politique du décalage entre l’annonce de la fermeture et sa réalité pratique.
Ajoutons à ces éléments une potentielle indemnisation – estimée à 5 milliards d’euros – qui serait demandée par EDF pour la fermeture anticipée de Fessenheim, il est assez logique que le gouvernement temporise au maximum pour se prononcer sur la date de la fermeture.
Au final, on ne sait pas encore à ce jour à quelle hauteur l’Etat va recapitaliser Areva. Le gouvernement a clairement indiqué qu’il minimiserait le plus possible cette somme mais surtout il semble prêt à laisser entrer des acteurs étrangers. Donc, concomitamment, la loi sur la transition énergétique impose une diminution de la part du nucléaire et l’Etat annonce qu’il ne peut plus financer le secteur comme il avait usage de le faire. Plus généralement, la globalisation du secteur, l’accroissement du coût technologique et des exigences de sécurité ainsi que le déplacement des préférences de l’électeur médian vers moins de nucléaire participent conjointement à une redéfinition de l’engagement de l’Etat à l’égard de l’énergie nucléaire.
L’Etat se voit donc contraint politiquement et économiquement de se retirer du « tout-nucléaire » et d’admettre la fin du total « made in France ». Les décisions finales qui seront prises sur l’avenir d’Areva et le devenir des centrales de Fessenheim (qui fermera sans aucun doute à court terme) et de Flamanville (dont l’ouverture est compromise mais financièrement obligatoire) vont donc marquer un changement d’ère de la politique nucléaire, et ce, même si la dernière loi de transition énergétique était modifiée par l’alternance politique.