par Christophe Blot
Le Conseil des gouverneurs de la BCE s’est réuni jeudi 8 septembre 2011 pour décider de l’orientation de la politique monétaire dans la zone euro. Après la hausse d’un quart de point en juillet portant le principal taux directeur à 1,5 %, la dégradation récente de la situation conjoncturelle pose la question de l’opportunité de la poursuite de la hausse et même celle d’un éventuel retour en arrière sur les décisions précédentes de la BCE.
Au cours du premier trimestre 2011, l’accélération de la croissance, qui s’était établie à 0,8 % et le regain de tensions sur les prix de l’énergie qui alimentait l’inflation semblaient accréditer le scénario de la BCE d’une sortie de crise et de la nécessité d’une normalisation progressive de la politique monétaire. Pourtant, les décisions de la BCE pouvaient déjà paraître un peu hâtives au regard de l’absence de résolution pérenne de la crise budgétaire et du diagnostic porté sur le risque inflationniste (cf. Faut-il craindre un retour de l’inflation dans la zone euro ?). Par ailleurs, depuis quelques semaines, les mauvaises nouvelles se succèdent de part et d’autre de l’Atlantique témoignant de la fragilité de la reprise et reflétant la situation inextricable des finances publiques. La croissance dans l’ensemble de la zone euro a marqué le pas au deuxième trimestre puisque le PIB n’a progressé que de 0,2 % (cf. le communiqué d’Eurostat). La consommation des ménages est en baisse, l’investissement ne confirme pas le rebond du trimestre précédent et, sans une contribution du commerce extérieur positive, la croissance aurait été négative reflétant la faiblesse des ressorts internes de la croissance dans une zone où tous les pays ont fait le choix de la rigueur budgétaire. Depuis le mois de mars, les enquêtes de conjoncture se dégradent rapidement (graphique 1) ce qui se traduit dans les indicateurs avancés de la croissance par une anticipation de négative sur le deuxième semestre 2011 (cf. L’indicateur avancé zone euro).
Source : Commission européenne
Autre source d’inquiétude : la spirale dépressive s’est de nouveau emparée des marchés financiers qui ont plongé au cours de l’été en raison des tergiversations en matière de gouvernance dans la zone euro et de la fragilité supposée du système bancaire (cf. la déclaration de Christine Lagarde, Directrice générale du FMI). Les risques de défaut de la Grèce comme celui d’une contagion de la crise ne sont toujours pas écartés. Les tensions sur le marché interbancaire sont également réapparues comme le montrent l’augmentation rapide de l’écart de taux entre les prêts interbancaires garantis (taux Eurepo) et les prêts à même échéance non garantis (taux Euribor). Sans atteindre le niveau de tensions qui avait suivi la chute de la banque Lehman Brother en septembre 2008, ces écarts de taux s’envolent depuis le début du mois d’août (graphique 2). Enfin, après avoir atteint un pic à 2,8 % en avril, l’inflation a diminué progressivement à 2,5 % en août. De même, l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire excluant les composantes volatiles comme l’énergie et l’alimentaire, a reculé de 1,6 % à 1,2 % confirmant que le risque inflationniste est faible dans un contexte de chômage massif.
Dans ces conditions, est-il pertinent de poursuivre le mouvement de hausse des taux ? La BCE a commis une erreur d’appréciation ; elle s’est engagée prématurément dans un cycle de hausse de taux. Ce faisant elle a ajouté un frein supplémentaire à une croissance déjà bridée par l’austérité budgétaire des pays de la zone euro. Cette situation rappelle celle de l’été 2008 où la BCE avait décidé d’une augmentation de son taux directeur à quelques semaines d’une tempête financière et alors même que la zone euro était déjà entrée en récession. La BCE avait dû rapidement faire machine arrière pour faire face à l’effondrement de la croissance. De même en 1937, le resserrement hâtif de la politique monétaire aux Etats-Unis avait rapidement fait replonger l’économie américaine en récession obligeant la banque centrale à baisser ensuite rapidement les taux.
La position de la BCE est donc aujourd’hui assez délicate. Elle pourrait juger qu’un retour en arrière pourrait nuire à sa crédibilité. Mais il en serait tout autant si elle s’enfermait dans un jugement erroné de la sortie de crise et des risques inflationnistes. Par ailleurs, à quelques mois de sa succession, Jean-Claude Trichet pourrait juger qu’il est plus sage de ne pas modifier l’orientation de la politique monétaire afin de ne pas mettre sous pression son successeur Mario Draghi qui doit prendre ses fonctions en novembre. Si une chute de la croissance comparable à celle de 2008-2009 paraît aujourd’hui peu probable, les tensions actuelles en matière bancaire et de finances publiques nécessitent cependant un soutien supplémentaire de la part de la politique monétaire. Avec un taux à 1,5 %, la politique monétaire reste accommodante mais une nouvelle baisse montrerait l’engagement de la BCE en faveur de la croissance. Une politique monétaire adaptée à la situation macroéconomique et financière doit aujourd’hui l’emporter sur toute considération relative à la crédibilité d’un éventuel revirement de la BCE. Enfin, une autre possibilité serait d’accélérer et d’amplifier le programme d’achats de titres publics afin de peser sur les taux d’intérêt à long terme et offrir ainsi une solution à la crise des dettes souveraines.