par Henri Sterdyniak
Le gouvernement s’est donné comme objectif d’atteindre l’équilibre des finances publiques en 2017, ceci nécessiterait une baisse d’environ 60 milliards des dépenses publiques. Ainsi, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a-t-il demandé à Bertrand Fragonard, le Président du Haut Conseil à la Famille, de lui proposer, d’ici fin mars, un plan de restructuration de la politique familiale, permettant le retour à l’équilibre de la branche famille en 2016. Il faudrait donc réduire les aides aux familles, de 2,5 milliards (soit de 6,25 % les prestations familiales), le montant du déficit de la CNAF en 2012. Est-ce justifié d’un point de vue économique et d’un point de vue social ?
En 2012, les comptes de la CNAF souffrent de la récession, qui diminue les montants des cotisations sociales et de la CSG, qu’elle reçoit. Si on estime que la masse salariale est inférieure de 5 % à son niveau normal, la perte de recettes pour la CNAF peut être évaluée à 2,5 milliards. La totalité du déficit de la CNAF est donc conjoncturelle. Prétendre le réduire en diminuant les prestations revient à mettre en cause le rôle stabilisateur des finances publiques. Imaginons que la demande privée chute de 1 % du PIB ; en supposant un multiplicateur égal à 1, le PIB baisse de 1 % ; les finances publiques voient leur déficit public se creuser de 0,5 %. Si on veut éviter ce déficit, il faudrait réduire les dépenses publiques de 0,5 % du PIB, ce qui diminuerait le PIB, donc les recettes fiscales et obligerait à de nouvelles réductions. Ex post, les dépenses publiques devraient baisser de 1 % et le PIB de 2 %. La politique budgétaire jouerait un rôle déstabilisant. La CNAF doit donc être gérée en considérant son solde structurel, or celui-ci est équilibré en 2012. Sur le plan économique, en situation de profonde dépression, quand la consommation et l’activité stagnent, rien ne peut justifier une ponction sur le pouvoir d’achat des familles[i].
Par ailleurs, les gouvernements successifs ont progressivement mis à la charge de la CNAF, et l’assurance vieillesse des parents au foyer (pour 4,4 milliards en 2012) et les majorations familiales de retraite (pour 4,5 milliards en 2012). Ainsi, sur les 54 milliards de ressources de la CNAF, près de 9 milliards sont détournés vers l’assurance-retraite et ne profitent pas directement aux enfants.
Ce détournement a été possible car les prestations familiales ont peu augmenté dans le passé, n’étant généralement indexées que sur les prix et ne suivant pas les salaires. Pire, certaines années, les prestations n’ont même pas été augmentées à hauteur de l’inflation. Finalement, de 1984 à 2012, la BMAF a perdu 5,7 % en pouvoir d’achat absolu (colonne 1 du tableau), mais 25 % en pouvoir d’achat relativement au revenu médian des ménages (colonne 2). Faut-il poursuivre et accentuer cette dérive ?
Les jeunes de moins de 20 ans représentent 25 % de la population. En utilisant l’échelle d’équivalence de l’INSEE, c’est 12,5 % du revenu des ménages qui devrait être fourni par des prestations familiales pour assurer aux familles avec enfants le même niveau de vie qu’aux personnes sans enfants. Or l’ensemble des prestations sous critères familiaux ne représente que 4,2 % du revenu des ménages[ii].
Le RSA est nettement plus faible que le minimum vieillesse sous prétexte d’inciter ses titulaires à travailler, mais ceci pèse sur le niveau de vie des enfants, qui vivent généralement avec des actifs, non avec des retraités. La création du RSA-activité aurait pu fournir un complément de ressources appréciable à beaucoup de familles de travailleurs à bas salaires, mais celui-ci est mal conçu : beaucoup de bénéficiaires potentiels ne le demandent pas. De plus, il ne bénéficie pas aux chômeurs (et donc à leurs enfants). Ainsi, en 2010, le taux de pauvreté des enfants (au seuil de 60 %) était-il de 19,8 % contre 14,1 % pour l’ensemble de la population. Au seuil de 50 %, il était de 11,1 % contre 7,8 % pour l’ensemble de la population. Ainsi, 2,7 millions d’enfants sont-ils en dessous du seuil de pauvreté de 60 %. 1,5 million d’enfants sont même en dessous du seuil de 50 %.
Une famille avec trois enfants a un niveau de vie plus bas qu’un couple sans enfant, percevant les mêmes salaires, de 16 % si elle gagne 2 fois le SMIC, de 30 % si elle gagne 5 fois le SMIC. Les allocations familiales sont devenues très faibles pour les classes moyennes ; le quotient familial ne fait que tenir compte de la baisse de niveau de vie induite par la présence d’enfants ; il n’apporte pas d’aide spécifique aux familles. A aucun niveau de revenu, les aides aux enfants ne sont excessives. Le niveau de vie moyen des enfants était en 2010 inférieur de 10 % à celui de la moyenne de la population. Ce devrait être l’inverse, puisque les enfants ont besoin d’un niveau de vie satisfaisant pour développer toutes leurs potentialités, et puisque les parents qui élèvent leurs enfants, en plus de leurs activités professionnelles, jouent un rôle social fondamental.
Faut-il fiscaliser les allocations familiales ? Ce serait oublier que leur montant est déjà très faible par rapport au coût des enfants. Le revenu médian par unité de consommation était de l’ordre de 1 660 euros en 2012 ; le coût moyen d’un enfant, qui représente 0,3 unité de consommation, est donc de l’ordre de 500 euros. Or, les allocations familiales sont de 64 euros par enfant (pour une famille avec deux enfants), et de 97 euros par enfant (pour une famille avec trois enfants). Il faudrait donc au minimum multiplier par cinq les allocations avant que la question de leur fiscalisation ne devienne légitime.
Se rapprocher des objectifs de la politique familiale française tels qu’ils sont proclamés dans la Loi de financement de la Sécurité sociale[iii] – réduire les écarts de niveau de vie selon la configuration familiale, sortir tous les enfants de la pauvreté, augmenter les places en crèche – nécessiterait que plus de moyens soient donnés à la politique familiale. Ces moyens devraient être supportés par tous les contribuables, et non par les familles des classes moyennes, qui ne sont pas les plus favorisées du système.
Réduire de 2,5 milliards les sommes que la Nation consacre à ses enfants serait une erreur de politique macroéconomique comme de politique sociale. Comme le disait Charles Gide : « De tous les investissements qu’une nation puisse envisager, c’est l’éducation des enfants qui est la plus rentable ».
[i] Voir un argumentaire similaire : Cornilleau Gérard, 2013, « Faut-il réduire les dépenses d’indemnisation du chômage », Blog de l’OFCE, février.
[ii] Voir Sterdyniak Henri, 2011, « Faut-il remettre en cause la politique familiale française », Revue de l ’OFCE, n°116.
[iii] Voir PLFSS, 2013, Programme de qualité et d’efficience, Famille.